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Exposition Eh, Marie ! Art textile et figures de circonstance

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Photo retouchée à Out of the Box, extraite de l’article Consacreted in Mexico, in : National Geographic, novembre 2016

Durant ce mois de décembre 2016, Out of the Box présente l’exposition Eh, Marie ! Art textile et figures de circonstance. Cette exposition réunit une sélection d’œuvres en textile, réalisées par des artistes sélectionnés sur la scène internationale. L’exposition est complétée par des créations réalisées dans les ateliers de Out of the Box par les jeunes.

Conçue par Diane Hennebert et Séphora Thomas, cette exposition sera présentée du 2 décembre au 31 décembre 2016 dans l’immeuble qui abrite les activités de Out of the Box.

Diane Hennebert est philosophe de formation et a dirigé plusieurs institutions culturelles, dont la Fondation Boghossian où elle a conçu et coordonné de nombreuses expositions présentées dans la prestigieuse Villa Empain de Bruxelles.

Séphora Thomas est historienne de l’art de formation, professeur à l’Ecole supérieure des Arts visuels de la Cambre (Bruxelles), psychanalyste et écrivain. Elle participe également aux activités de Out of the Box.

Ensemble, elles ont pris l’initiative d’organiser l’exposition Eh Marie ! Art textile et figures de circonstance, réunissant les œuvres d’artistes dont les créations témoignent d’une maîtrise spécifique dans le domaine de l’art textile.

Ce choix s’oriente en priorité vers des figures humaines, animales, végétales ou hybrides.

Informations

Diane Hennebert, administratrice déléguée de Out of the Box
Boulevard Louis Schmidt 97 – 1040 Bruxelles
out@ofthebox.be / www.ofthebox.be
Tél : +32 475 21 16 61

L’exposition « Eh, Marie ! » est accessible tous les jours sauf les dimanches et jours fériés, de 11 à 18 heures, jusqu’au 31 décembre 2016.

Les 24 et 31 décembre, elle sera exceptionnellement fermée à 16h30.

Belles fêtes à tous !

Les créateurs

Elodie Antoine, Ghada Amer, Hélène Barrier, le collectif des brodeuses (Elisabeth Horth, Laure Hassel et Isabelle Stevens), Odonchimeg Davaadorj, Hélène de Gottal, Diane Didier, Manon Gignoux, Stephan Goldrajch, Louise Richardson, Catherine Rosselle, Lucia Sammarco, Shiaru Shiota, Valérie Vaubourg, Sarah Walton, Rita Zepf

Photos du vernissage

Extraits de Text’elle

Séphora Thomas, novembre 2016

Jusqu’au milieu du XXe siècle, l’opinion qui prévaut en Occident est que le « Grand Art » est produit par des générations masculines et que le génie ne ressort pas du féminin.  Les mouvements féministes des années 1960 soulignent combien les femmes sont restées en dehors des mondes créatifs (littéraire, plastique et scientifique) faute d’accès à l’instruction et donc aux savoirs.  Les codes, les iconographies, les canons de représentations, les normes narratives et techniques sont jusque-là édictées par les hommes. (…) Cette vérité est régulièrement rappelée par des auteurs avisés et par des artistes contemporaines se heurtant au « système ».

Traditionnellement, les femmes apprennent la couture dès l’enfance. Elles brodent, cousent, tissent, crochètent, tricotent. Les plus nanties se fabriquent un trousseau. En tout état de cause, le fil est le matériau féminin par excellence ; les mailles et les points, son langage et les activités féminines y ayant recours relèvent du générique « Ouvrages de Dames ». Au mieux, les femmes produisent dans leur contexte journalier, quotidien et intime de jolies choses. Pas question, toutefois, d’assimiler ces travaux à de l’art !Quand, dans les années 1960, les femmes entreprennent de conquérir le monde artistique, elles s’y trouvent donc confrontées à un immense vide généalogique. Aux USA, d’importants mouvements féministes se développent alors au cœur des universités. De nombreuses femmes inaugurent leur créativité dans d’incroyables performances provocatrices, aux titres éloquents : Carolee Schneemann  avec Interior Scroll  (1975) ; Yoko Ono  avec Cut Peace (1964) ; Valie Export avec Panique Génitale (1969) ; Shigeko Kubota avec  Vagina Painting (1965) ;  Marina Abramovic avec Freeing The Voice (1975),  Freeing The Body (1976) et Freeing the Memories  (1977); Orlan et Le Baiser de l’artiste (197) ; Louise Bourgeois avec Confrontation (1978). Leur slogan commun pourrait être « Personnal is Political ». Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elles sont déchaînées !  Prenant leurs corps en guise de matériau privilégié, elles s’opposent radicalement aux  canons esthétiques érigés depuis des siècles par les hommes et projetés par eux sur le corps féminin. Elles le dévoilent dans toutes ses intimités, le maltraitent et rudoient par la même occasion le regard des spectateurs transformés en voyeurs ahuris.

Parallèlement, certaines choisissent de s’intéresser aux travaux féminins d’antan. Ainsi, Louise Bourgeois évoque ce passage apaisant de la maison à l’atelier : « Lorsque je me sens découragée dans les relations avec mes amis ou ma famille, je trouve refuge dans l’atelier. Là mes œuvres me redonnent de l’énergie. Elles sont une source d’énergie qui me permet de gérer la vie quotidienne que je trouve si difficile. L’atelier c’est toujours un passage du passif à l’actif ». L’élément biographique est un facteur commun à  beaucoup d’autres femmes-artistes. C’est le cas d’Annette Messager. Après avoir tricoté de minuscules pulls en laine pour des oiseaux morts baptisés Mes Pensionnaires (vers 1970), elle brode, entre 1972 et 74, des proverbes machistes sur des mouchoirs : « La femme est un être qui s’habille, babille et se déshabille », « Quand la fille naît, même les murs pleurent » ou « Les femmes sont pleines de sagesse et folles quand elles réfléchissent ». Elle insiste sur le temps investi dans l’affaire et les ruminations qui l’accompagnent et mettra du temps à oser se considérer « artiste » : « Pourquoi d’ailleurs une femme veut-elle devenir artiste ? », interroge-t-elle. « Pour rendre la vie plus intéressante que l’art », répond-elle !  

Jadis, si coudre était une activité destinée à inculquer aux fillettes la féminité résignée, l’aiguille devient pour les artistes du XXème siècle le symbole de leur émancipation. Les femmes-artistes transforment leur supposée  « sous-culture » en « contre-culture ». Et la débride l’emporte dans des œuvres filigranées d’accès de révolte et de rictus. Des filles, des femmes qui n’ont rien d’ignorantes revisitent ces humbles activités de fils et d’aiguilles. Chez Louise Bourgeois, quand les torchons brûlent, l’artiste coud.  Les mouchoirs usés deviennent les supports d’un grand nombre d’œuvres réalisées au crépuscule de sa vie.

Aujourd’hui encore, de très nombreuses artistes ont recours aux textiles pour s’exprimer. Si la plupart ont pris leurs distances vis-à-vis des dictats féministes de leurs aînées, ces matériaux conservent leurs qualités transgressives de résistance.  

Y aurait-il un lien particulier entre les gestuelles répétitives et les conditions faites aux femmes aux siècles passés ?  Peut-on établir, concernant les femmes, un rapport naturel au temps s’écoulant comme le fil passe dans le chas de l’aiguille qui lui fait traverser le tissu ? Il est question ici de patience mais aussi de pénétration. L’esprit vagabonde. Soudain, l’aiguille pique le doigt ramenant brutalement la pensée sur l’ouvrage qui pourrait se tacher du sang de la brodeuse. Mouvement de la main, aller-retour de l’aiguille reliant le passé au futur en passant par le présent.  L’art textile fait ainsi lien entre toutes les femmes, y compris celles issues d’autres communautés et cultures.

(…) Le tricot, le crochet, la broderie procèdent par additions d’éléments modulaires enchaînés à l’infini et justifiant une métaphore avec la gestation, la maternité, l’instinct de conservation et de survie. Mais de fil en aiguille, les femmes artistes élargissent le champ de leurs investigations.

(…) Coudre est souvent synonyme de re-coudre. Combler les trous,  boucher les orifices indésirables et avec talent, s’il vous plaît ! Combien de chaussettes reprisées dans une vie de femme traditionnelle ?  Talentueuses reprises, ensuite enfouies au fond des chaussures… La reprise, l’équivalent du repentir en dessin ? Corriger. Ou reprendre le fil de la conversation… Est-ce une des expressions de l’instinct de conservation ?  Patience et précision.  Travail lent et minutieux à l’instar de celui de l’artiste Ghada Amer pour ses toiles hybrides qui dénoncent l’asservissement des femmes au foyer. Derrière les fils qui pendouillent et autorisent la comparaison avec les Drippings de Pollock, formant une sorte de cage-métaphore de l’enfermement, des femmes en pointillés- brodés s’adonnent au plaisir. Elle déclare : « Ici la technique de couture est poussée à l’extrême. Coudre pendant des jours des images de femmes tirées de revues pornographiques destinées aux hommes est une aberration. Ici, je participe à la double soumission de la femme : la femme qui coud et la femme qui coud sa propre image déformée ! » Coudre, c’est aussi assembler, rassembler des morceaux, rapprocher les bords, créer du continu, du contenant, du vêtement. Le textile est devenu un matériau artistique dont l’emploi s’est répandu. Ce sont toujours les femmes qui y recourent majoritairement. L’exposition Eh, Marie ! le démontre.

Les femmes-artistes ont bouleversé toutes les vieilles hiérarchies de genres, de sujets et de pratiques. Elles ont  mélangé les strates de notre héritage culturel pour s’y insérer avec des moyens qui leur étaient attribués comme propres. Ce faisant, elles ont introduit du « tout autre » dans ce qui était rigide et fermé, elles ont choisi le mélange plutôt que l’unicité.

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